L'autre. [PV Léandre]

Je ne sais pas ce qu'est cet endroit, ni même pourquoi je suis là. Peut-être est-ce le destin qui m'a amené ici, ou mon corps a bougé tout seul. Mon esprit se sent un peu perdu. Je me sens perdu. Toute cette neige me fait peur. Ennemi du froid, je suis blotti dans mes manteaux, remontant mon écharpe sur ma bouche. Pourquoi suis-je ici ? Je ne comprends plus rien. Ça me rappelle quand je me suis réveillé d'un coup au manoir d'Edward, j'étais complètement paumé, je ne savais pas quoi faire. Et bien là c'est pareil. Je me retrouve en plein désert froid, face à une sorte d'usine qui fume bien. Les tuyaux d'échappements crachent leur fumée noire qui se dissipe dans le ciel, se mêlant aux nuages rares. Et moi je lève bêtement la tête vers le bleu ciel du temps. Doux rêve qui se fissure par cette noirceur puante. Je me bouche le nez et reporte mon attention sur la porte d'entrée. Un long grillage parcourt tout le périmètre de l'usine, et de nombreux panneaux signalent des risques. Je crains ne pas les suivre et j'approche ma main de l'entrée. Je m'arrête un instant. Je ne sais pas ce qu'il me prend. Je me mets soudainement à réfléchir à tout ça. Ne suis-je pas en train de faire une bêtise ? Et si en entrant dans cet endroit, j'y meurs ? Je frissonne et détourne les yeux. Je préfère bien réfléchir avant de prendre une décision. Je m'appuie contre le portail blindé, et je me laisse glisser, retombant sur mes fesses. La neige, froide, me fait trembler et je me recroqueville contre moi-même, laissant mes ailes me réchauffer en me compressant.

Une heure déjà. Je me suis assoupi. Les sourcils sont couverts de neige, et mon teint est encore plus blafard. J'ai peur. J'ai beau essayer de me réchauffer, j'ai du mal et les lèvres bougent toutes seules. Je claque des dents, mon nez est légèrement rouge et mes ailes sont pétrifiées. Mais pourquoi ai-je atterri ici ? Pourquoi fait-il si froid ? Je suis tellement mieux dans un bon lit douillet, calé contre un oreiller moelleux... Mais que fais-je ici bon Dieu ?! J'ai si froid... Je veux des bras protecteurs contre moi... Je veux avoir une étreinte chaude entre mes mains, je veux poser ma tête contre le corps d'une personne si chaude et gentille...

~ Je veux croire alors que quelqu'un passe et qu'il me dit tout bas 'je suis ici pour toi'. ~

[Je peux me pendre ? C'est si petit...]

Le temps a filé, comme d'habitude, et la silhouette qui se dressait dans la neige avait beau vaguement ressembler à Léandre Nightroad, rien n'était moins sur. Les raisons qui l'amenaient ici étaient plutôt obscures. Le savait-il lui même ? Partir...s'en aller loin. Oublier. Etre seul. Réfléchir. Tant de raisons auraient pu le pousser à se rendre là-bas.

* J'ai besoin de marcher, le plus loin possible.*

Trop de choses en même temps, trop d'émotions. Bien qu'il n'en laissait rien paraître, le jeune homme mettait ses nerfs à rude épreuve. Marcher, c'était son exutoire. Peu importe la direction, peu importe la distance.
Les flocons dansaient furieusement autour de cette silhouette peinant dans ce paysage glacé. Quel que soit l'endroit où il posait les yeux, tout était d'une blancheur immaculée. Le blanc envahissait l'espace, couleur de la pureté mais aussi, couleur de la mort. A peine plus vêtu que d'habitude, si ce n'est une longue écharpe violette qui lui couvrait la bouche et le nez, le magicien avance dans le blizzard, un masque d'indifférence sur le visage.
Il fixait la neige, perdu dans ses pensées. Chaque pas le rapprochant de quelque chose mais de quoi ? Les choses avaient tellement changé en si peu de temps. Pouvait-il se permettre de ne pas changer ? Il chassa ces questions de se pensées. Enfonçant ses doigts engourdis dans ses poches, il poursuivit son avancée dans la neige, comme si cela lui faisait ni chaud, ni froid.
Et puis il remarqua que la neige se faisait moins abondante, et un peu plus sale. En relevant les yeux, Léandre aperçut un autre de ces monstres de briques. Le bâtiment était pourvu de nombreuses cheminées qui vomissaient une fumée noire et dense. Il ignorait avoir marché aussi longtemps ni aussi loin.Ce que c'est moche, pensa-t-il, en lançant un regard méprisant à cette aberration monstrueuse.
Le jeune homme aurait sans aucun doute passé son chemin, s'il n'avait pas remarqué que plus loin derrière les grillages, se trouvait quelque chose de plus...organique. Un être encore vivant et en position foetale. Avec ses sens améliorés, cela ne faisait aucun doute.

Curieux, il dépassa sans peine les grillages, sans accorder le moindre intérêt aux signes d'interdiction. Ce fut uniquement lorsqu'il se trouva à quelque mètre que ce tas de vêtements recroquevillé sur lui même comme du corned-beef racorni, qu'il reconnut cette odeur particulière. Ce parfum trop sucré, d'innocence. Léandre ne put réprimer un long soupir de lassitude alors qu'il avançait vers la créature, dont on pouvait à peine distinguer le visage.

- J'ai l'impression de passer mon temps à te secourir, Alexiel., il marqua une pause, une pointe de tendresse perçant dans ses yeux désormais bleu-violet, avant de disparaître dans ce cynisme de comédien. Ca doit être une sorte de châtiment karmique ! , ajouta-t-il d'un ton amusé.

En réalité, la situation n'avait rien de comique. Quoiqu'il est vrai, il tombait souvent sur Alexiel en mauvaise posture.Le jeune homme s'accroupit à la hauteur de l'angelot et lui lui murmura d'une voix veloutée.

- Si tu restes là comme ça, tu vas mourir de froid.

Je cherche encore à savoir pourquoi je suis ici. Je ne comprends rien à rien. Je suis coupé du monde, j'ai l'impression que City est à l'autre bout de la planète. Suis-je en Sibérie ? Avec ce gros monstre de métal derrière moi, je me sens tout bizarre. Comme si cette sortie d'usine m'inspirait la crainte et le mal. La fumée se dissipe dans l'air, et moi je m'enfonce dans la neige. Le temps semble long... Trop long. Je compte les secondes où je suis loin de tout. Et ce qui m'agace le plus, c'est que je ne comprends pas pourquoi et comment j'ai atterri ici. Peut-être est-ce mon destin ? Mourir de froid...

Une silhouette peut-être aurait pu m'être familière, mais celle qui se pointe devant moi me parait si loin, si blême. Cette ombre, cette vie qui s'approche, lasse, moi je n'y vois qu'une illusion. Comme le blanc peut être fatal. Mes pauvres yeux... Je divague. Je veux partir. J'ai trop froid, je me sens mal. Loin de tout, loin de nous...

- J'ai l'impression de passer mon temps à te secourir, Alexiel. Ça doit être une sorte de châtiment karmique !

Mon esprit voyage loin. Je n'entends pas. Ou du moins, je ne prends pas conscience de ce que cette silhouette me dit. Et puis après tout, il semblerait que cette personne me connaisse, cette personne issue de mon imagination. Mais en fait, je me rends compte que tout est vrai. Que cet homme, venu des profondeurs des abysses, est réellement là. Qu'il me parle vraiment, avec cette voix qui m'est si familière. Et si cet homme était... Je me perds. Mes yeux papillonnent tout seuls, on dirait que j'ai le vertige. Mais c'est idiot, trop idiot pour que je pense.

- Si tu restes là comme ça, tu vas mourir de froid.

Son visage apparait face à moi. Je l'ai déjà vu quelque part. Oh, comment oublier Léandre ? Je vous le demande... J'ai peur de devoir répliquer, je crains être perturbé et gelé. Mes yeux ocres se posent sur l'océan étonnamment violacé de Léandre, et je fais une grimace. Je secoue ma tête et desserre l'étreinte que je me portais.

~ Mourir de froid est-il mieux que de mourir par la main de Grey ? ~

Je m'avance un peu, rien qu'un peu, vers Léandre. Je pose mes mains glacées sur les siennes, pauvre oiseau gelé que je suis. Mes ailes semblent avoir perdu de leur agilité. Je lève ma tête vers lui, tout tremblant, puis j'emprisonne son cou de mes bras, et je me blottis rapidement contre lui. Je rêvais de cette chaleur, même mince. Dans le froid, désert monstrueux, le temps a l'air de s'être suspendu.

~ Où tu étais tout ce temps ?... Tu m'avais promis de me protéger... ~