Métaphysique des tubes. [PV Léandre]

Alexiel avait toujours désiré découvrir Orbis. Mais enfermé dans les remparts du QG des Crysalids, sa seule possibilité était d'admirer la vaste étendue de terre par la fenêtre, et s'imaginer cueillir plusieurs variétés de plantes pour ses remèdes. Ses yeux étaient tristes, il voulait échapper à la vigilance de ses hôtes. S'éloigner juste un peu de Luciia, son médecin qu'il pensait tyrannique. Mais fuir Edward était inconcevable pour notre blondinet. Pourtant, son envie de partir de manière autonome se manifesta d'un coup un jour.

Luciia était sortie dehors, vers les portes d'entrée, accompagnée d'Alexiel. Disons plutôt que celui-ci était obligé de la suivre, pour commencer ses entraînements quotidiens de marche. Il devait apprendre rapidement à courir pour fuir en cas de nécessité. Car seulement marcher était inutile. Et Alexiel détestait marcher, puisqu'il se ramassait à chaque fois qu'il essayait. Mais les encouragements de Luciia le poussaient à avancer, encore et encore, son corps marqué successivement de ses efforts. Seulement voilà: aujourd'hui il allait sécher son cours, disons, pour la première fois, et sans le vouloir. Luciia, distraite, discutait avec des collègues de l'infirmerie, apparemment bien amusée par la situation. Alexiel, lui, fixait intensément les portes d'entrée, grandes ouvertes. Le monde d'Orbis semblait être à portée de mains... L'ange fronça les sourcils et s'échappa de l'emprise de son médecin pour s'approcher de la sortie, soudain ébloui par cette liberté si proche. Une fois le pied posé à l'extérieur, un fardeau se retira des épaules d'Alexiel. Il était libre de découvrir Orbis... Totalement libre... Se retournant pour regarder Luciia qui ne se rendait compte de rien, il finit par sourire et marcher à travers les ruelles du centre ville, fasciné par les choses qu'il découvrait.

Ses yeux parcouraient les bâtiments anciens, les autres Intrus, des fois même Alexiel s'arrêtait pour mieux contempler quelque chose. Il était comme un enfant perdu, mais heureux. Et sa naïveté le conduit tout droit vers l'Acropole d'Orbis, non loin du repaire des Nymphéas. Le blondinet s'assit sur la pelouse, recueillant quelques plantes qui lui seraient assez utiles pour ses remèdes. Il était persuadé que Luciia apprécierait ce geste. Mais très vite, il se rendit compte qu'il ne reconnaissait plus les lieux. Se retournant vers la ville en ruines, un bond dans son cœur lui fit dire qu'il était perdu. Perdu, c'était le mot. Sa joie se transforma en terreur, en angoisse, et rapidement il abandonna sa quête de découverte pour retrouver ses pas. Il marcha le long de l'acropole sans réussir à retrouver son chemin. A cet instant précis, on pourrait le prendre pour le Petit Poucet, mais Alexiel était à présent convaincu que personne ici ne pourrait l'aider, puisqu'il ne voyait personne dans le coin. Il se sentait complètement idiot d'avoir suivi sa soif de découverte.

- Je fais quoi... maintenant ?, se confia-t-il en se rasseyant.

C'était bien calme pour une fin d'après-midi. Le ciel orangé se reflétait sur les cheveux dorés de notre ange qui attendait patiemment que quelqu'un le trouve. Mais les minutes passaient, son angoisse montait. Et si un Judgment le trouvait ? Il allait mourir, c'était sûr. Incapable de se battre, incapable de courir, que pouvait-il faire contre un monstre pareil, hein ? Prier ? Il n'avait pas encore appris ce mot. Un jeune amnésique livré à lui-même, voici le tableau de cette situation.

- Edward... Luciia... Je suis désolé...

La journée de Léandre prenait tout doucement fin : le jeune homme avait accompli la tâche que son camp lui avait assignée : chasser. Trouver de la nourriture était primordial ici, à Orbis, où la survie était comparable à un combat sans fin. Des vies humaines pouvaient s’éteindre à tout moment par le moindre petit geste d’inattention. Parfois, le jeune homme se disait qu’il en avait assez de tout ça, de se battre sans cesse. Tout ça c’est la faute du créateur pensait-il. C’est pourquoi, souvent, lorsque le jour déclinait, Léandre se rendait seul à l’acropole. Il s’agissait de son petit rituel personnel, qu’il ne partageait avec personne, puisqu’il n’avait personne avec qui le partager.
Léandre appréciait son rôle dans le clan, il se sentait utile et protégé. Toutefois l’ébullition constante du clan, son désir de bataille jamais assouvi, son exubérance le lassait. Pour être honnête, il se sentait seul. Le clan des Nymphéas était majoritairement composé de guerriers et donc, d’une certaine façon, Léandre se sentait un peu mis à l’écart.

Après avoir remis le produit de la chasse, le jeune homme se dirigea vers l’acropole. Il aimait cet endroit pour de différentes raisons. Tout d’abord, c’était un des rares espaces vraiment dégagé de la ville. Ici il pouvait exercer son don pratiquement sans retenue, laisser vagabonder ses yeux dorés sans immédiatement se heurter à un mur de pierre sales. Cependant un endroit aussi dégagé posait également quelques problèmes, mais le jeune homme n’en avait cure. Ici il se laissait aller à imaginer une civilisation ancienne, celle qui les avait sûrement précédé avant que le créateur ne détruise tout. Il imaginait des gens, aux costumes étranges, traverser cet endroit de long en large, une place vivante avec des étals… De cette façon Léandre avait l’impression de ressusciter cet endroit, cette ville qui lui semblait de plus en plus morte au fur et à mesure qu’il y errait. Orbis n’était que ruine, et lui, il lui rendait la vie.

Le ciel s’était paré de ses plus belles couleurs : un orange profond qui allait bientôt se décliner en nuances de rose foncé pour virer au bleu. Léandre aimait particulièrement regarder le ciel, là aucun mur ne pouvait entraver ses yeux. Le jeune homme arriva sur la place. Toutefois il n’était pas seul. Une jeune fille était assise là, ses longs cheveux blonds reflétant la lumière du soleil couchant. Elle avait l’air jeune et ses yeux bleus, comme des fenêtres ouvertes vers le ciel, ne faisaient que renforcer cette impression d’innocence et de mélancolie qui émanait d’elle. Que faisait-elle là ? Il la regarda de loin, elle n’était pas du clan, il en était certain. Peu de gens osaient venir se risquer aussi près du QG des Nymphéas. Elle était assise et semblait désoeuvrée voire totalement perdue. Que faisait-elle seule ici ? Pouvait-il s’agir d’un judgment ? Il la regarda de nouveau. Il n’avait pas l’impression que c’était un ennemi…
Il hésita un moment. Elle ne semblait pas l’avoir encore remarqué. Léandre mis la main sur son fusil. On n’est jamais trop prudent se dit-il, toutefois le jeune homme fit quelques pas en avant et lui adressa la parole. Sa voix grave résonna dans l’acropole :

-Hey toi là-bas ? Qu’est ce que tu fais toute seule dans un endroit aussi dangereux ?

N’importe qui aurait trouvé ça louche. N’importe qui aurait pu carrément l’ignorer. Toutefois il y avait quelque chose dans son regard, quand cette personne se retourne vers lui, qui lui rappela un oisillon perdu et effrayé. Aussitôt, il se sentit un peu idiot d’avoir pu se sentir menacé par cette personne, d’avoir même pensé une seconde qu’il aurait à se défendre et d’avoir pris son arme qui jusque là se balançait à l’aide d’une courroie sur son dos. Il devait franchement avoir l’air con…Pourtant, Léandre ne la quittait pas des yeux, comme s’il s’agissait d’une apparition qui pouvait disparaître à tout instant.

La solitude l'angoissait. Et plus le soleil se couchait, et moins Alexiel avait de chance de retrouver le repère des Crysalids. Et ce n'était pas en restant assis sur l'herbe fraîche qu'il allait y arriver. Il avait perdu tout goût pour la découverte, son coeur battait plutôt vite. Les idées s'enchainaient dans sa tête. Un Judgment arrivera, le tuera, c'était sûr... Et toutes ses méditations ne lui firent pas comprendre que quelqu'un approchait. Alexiel arqua les sourcils, ramenant les genoux contre lui. Et ses yeux se fermèrent l'espace de quelques secondes, juste le temps d'apprécier le silence lugubre de cet endroit.

- Hey toi là-bas ? Qu’est ce que tu fais toute seule dans un endroit aussi dangereux ?

Cette voix rauque, austère, fit sursauter Alexiel. Se levant en trombe, il se retourna vers la provenance de la voix, ses yeux angoissés plongeant dans ceux dorés de son interlocuteur. Un Judgment ? Ces yeux étaient absolument hypnotisants, et trop purs pour que cet homme eusse été un Judgment. De toute manière, Alexiel ne se souvenait pas avoir rencontré un de ces anti-virus. Sa condition d'amnésique ressurgit d'un coup, son coeur se serra devant cet homme. Ce dernier était de taille moyenne, certainement plus grand que notre blondinet, avec des cheveux bruns lui tombant sur le visage. Deux prunelles dorées fendaient l'air, accompagnées de ce visage pâle néanmoins expressif. Alexiel appréciait le regarder. Il trouva un peu de réconfort en lui, mais sa naïveté le tromperait peut-être. Ce qui tira l'ange de sa rêverie fut le fusil que l'inconnu tenait dans son dos. Alexiel sursauta à nouveau après ce long silence, reculant prestement. Il allait le tuer alors. Son corps tremblait en de violents soubresauts. A vrai dire, Alexiel s'emballait toujours dans ce genre de situation: seul, face à une personne armée qui lui voulait probablement du mal. Mais il était dans le faux. Il ne savait pas ce qu'il devait faire. Répondre ? Fuir ? Oui, mais ses jambes lui faisaient encore défaut. Alors, il était condamné à affronter sa peur. Ce fusil ne le laissait pas indifférent, au contraire. Il fuyait intérieurement le dialogue, surtout que cet homme était un parfait inconnu capable de le kidnapper, le ramener dans sa tanière et le torturer de quelques manières qu'elles étaient. Mais en même temps, il était aussi la seule personne actuellement à aider Alexiel à retrouver son chemin. Alors l'ange, se soumettant à la dure réalité de la situation, refit face au brun, plantant ses yeux bleu ciel vers lui.

- J'ai perdu... Je suis perdu, plutôt... P-Pardon, je ne parle pas bien... J'ai eu des problèmes...

Il se mordit la langue pour se taire, ce qui le fit gémir, son corps dérivant sur le côté. En plus d'être perdu, il était franchement ridicule. Pourquoi ne pas déballer toute sa vie tant qu'il y était ?! Décidément, le blondinet ne savait pas tenir sa langue face à l'inconnu, d'une manière générale. Peut-être était-ce aussi à cause de cela que Luciia et Edward ne le laissaient pas sortir du QG... Allez savoir. Pour le moment, Alexiel, seul contre lui-même et cet homme, ne pouvait compter sur le soutien de son médecin et de son amour. Il était seul. Seul, pour la première fois, confronté à la vie.

- J'ai peur... De ça..., fit-il en pointant un doigt tremblant vers le fusil de l'homme.

Léandre vit la jeune fille se relever et reculer de quelques pas. Une fois debout, il put constater à quel point elle avait l’air frêle, fragile comme de la porcelaine, la blancheur de sa peau ne faisant que renforcer cette image de poupée. En effet, elle avait l’air complètement désemparée et terrifiée. Aussitôt le jeune homme se sentit un peu coupable. Léandre avait de nombreuses fois pu croiser son reflet dans la surface de l’eau et avait constaté qu’au premier abord, son aspect n’était pas particulièrement engageant. Il avait déjà longuement observé son reflet, avec cette gêne grandissante qui lui donnait l’impression que quelque chose clochait. Son visage ne lui était pas familier, comme s’il observait un inconnu. Toutefois cette apparence intimidante pouvait se révéler utile dans bien des situations.
L’inconnue, effrayée par le jeune homme lui répondit tout de même :

-J'ai perdu... Je suis perdu, plutôt... P-Pardon, je ne parle pas bien... J'ai eu des problèmes...
Pendant un instant, Léandre envisagea la possibilité qu’elle soit une nouvelle venue sur Orbis, ce qui pouvait expliquer à quel point elle était désorientée. Sa voix faible et tremblante semblait sur le point de s’éteindre à tout moment. Léandre avança à pas lents, pour ne pas la brusquer, comme on approche un animal blessé dont les réactions peuvent être imprévisibles. Alors cette voix fragile se fit entendre de nouveau.

- J'ai peur... De ça…

Elle pointait son fusil du doigt. Elle ne pouvait nommer l’objet, connaissait-elle son nom, savait-elle où elle était ? La détresse de la jeune fille toucha le jeune homme au plus au point. De plus en vagabondant seule et sans défense, elle risquait de ne pas faire long feu dans cette ville… Emu par sa fragilité, Léandre pris la décision de suivre son instinct ou plutôt son code de conduite et de lui porter secours. Il posa son arme sur le sol pour bien montrer qu’il ne s’en servirait pas. Léandre avait bien compris qu’elle serait incapable de lui faire du mal. Lui en revanche, pourrait sans doute l’aider.

-Ca, c’est un fusil. T’en fais pas, je ne vais pas te faire de mal, ajouta-t-il d’un ton qu’il voulait rassurant.

Il s’approcha d’avantage de l’inconnue, toujours lentement pour ne pas l’apeurer. Il voyait ses grands yeux bleus observer ses moindres gestes avec attention. Le jeune homme réfléchit un instant : par où commencer ?

-Dis moi comment tu t’appelles et d’où tu viens, demanda-t-il de sa voix grave et profonde.

Le jeune homme espérait que malgré les « problèmes » que l’inconnue avait mentionné, elle serait capable de se rappeler quelque chose qui pourrait le mettre sur la voie. En revanche, si comme il l’avait supposé, elle venait d’atterrir sur Orbis, il l’emmènerait probablement qu QG.

Il avait bougé. Alexiel ne put reculer à nouveau, la terreur le clouant sur place. Mais au fur et à mesure que l'inconnu s'avançait, il se sentait absorbé par sa présence. Comme écrasé par le poids de son aura, aussi. Et cette impression le déstabilisait au point de partir dans sa rêverie, à nouveau. Il approchait, lentement certes. Alexiel savait à présent qu'il ne lui voulait pas du mal. Surtout que lorsqu'il posa son fusil au sol, le cœur d'Alexiel se desserra.

- Ça, c’est un fusil. T’en fais pas, je ne vais pas te faire de mal.

L'ange détourna les yeux suite à cette confession. Il savait qu'il pouvait lui faire confiance sur ce point. Ces prunelles dorées reflétaient désormais une certaine volonté de protection, plus d'aide en fait. Et Alexiel esquissa un timide sourire lorsque l'inconnu s'était suffisamment rapproché de lui pour au moins mieux le contempler. Sa tête se leva vers lui. Effectivement, il était plutôt grand pour l'ange, et cette part sombre lui faisait son charme. Le blondinet se sentait terrassé par son aura, d'autant plus que sa silhouette sobre lui donnait un air très honnête d'honneur.

- Dis moi comment tu t’appelles et d’où tu viens.

A la façon dont il s'était exprimé, Alexiel ressentait ceci comme un ordre. Il n'avait pas le choix. Il devait se présenter à lui. Mais comment s'exposer librement à quelqu'un que vous ne connaissez pas ? L'ange se rapprocha de lui pour lever sa main et la poser tout doucement sur son bras, fuyant son regard, tête basse. Ses joues rouges, il ravala quelques larmes de tristesse et de peur qui lui montaient aux yeux. Etre si proche de lui lui donnait l'impression qu'une grande main se posait sur le haut de son crâne, comme étant un geste purement paternel. Sur le coup, Alexiel pensa à Edward. Allait-il bien, d'ailleurs ? Était-il en colère, affolé, désespéré de l'absence du blondinet ? Car bien sûr, Luciia avait dû déclencher l'alarme dès qu'elle avait su qu'Alexiel s'était évaporé dans la nature.

- A-Alexiel... J'ai... J'ai... Je suis sorti me promener... Luciia va me punir..., répondit-il, la voix chevrotante.

Son inquiétude se fit plus violente lorsqu'il termina sa phrase. Cette fois-ci, il ne se mordit pas la langue. Il n'avait pas tangué non plus. Mais avoir posé sa main sur le bras de l'inconnu lui fit tourner la tête, comme si son aura qui émanait de lui lui pénétrait la peau douloureusement. Il ne put ravaler ses larmes ce coup-ci. En grand fragile qu'il était, il ne pouvait lutter contre l'angoisse, et de ce fait ses larmes coulaient tout doucement le long de ses jours rouges. Néanmoins il gardait la tête basse. Serrant la manche de la veste de l'inconnu dans sa main, il ne put que répliquer tristement:

- Je veux... Crysalid... J'ai peur... Des Judgments...

Des bouts de phrases insignifiants, mais le plus important y était: Retourner au QG des Crysalids, être bien à l'abri de tout danger, même sa propre personne était un réel danger pour lui. Son amnésie lui coûtait cher, ses sentiments changeaient de direction tout le temps, sa curiosité le piquait partout, sa terreur pour les autres se faisait plus violente. Alors pourquoi faire confiance en cet homme ? Maintenant, tout de suite, ils n'étaient que tous les deux sur l'acropole, avec le soleil qui se couchait pour eux, laissant la nuit apparaître petit à petit. Le vent alla fouetter leurs deux visages, les vêtements claquaient l'air bruyamment. Et un murmure fendit l'atmosphère.

- Ne me fais pas de mal...

Elle avait vraiment l’air terrorisée… Ma voix est-elle si effrayante ? se demanda le jeune homme. Sans qu’il ne puisse s’y attendre, la main de la jeune blondinette se posa sur son bras. Ce geste, désespéré, surpris Léandre mais ce n’était pas tout. Il la regardait, elle, qui l’avait observé et détaillé comme un alien, évitait son regard. Aussitôt un sentiment troublant s’empara du jeune homme, un sentiment qui le laisser sans voix, ému par cette détresse et cette pudeur. Ce genre de poupée de porcelaine, aussi innocente que pure, il en croisait rarement. Cette petite chose fragile et désespérée avait quelque chose d’exceptionnel. Il la fixait bouche bée, son cerveau tout juste capable de comprendre le sens de sa réponse.

-A-Alexiel... J'ai... J'ai... Je suis sorti me promener... Luciia va me punir...

Alexiel…c’était un drôle de nom pour une fille. Dr toute évidence, elle avait de grosses difficultés à parler. Etait-ce la fatigue ou la peur qui faisait trembler sa voix ? Alexiel parlait la tête basse, comme si elle ne pouvait supporter son regard. Elle semblait sur le point de défaillir à tout moment, Léandre craignait qu’elle se brise en mille morceaux en heurtant le sol.

-Je veux... Crysalid... J'ai peur... Des Judgments... Ne me fais pas de mal...

Au son du mot « Crysalid », Léandre ne put s’empêcher de froncer les sourcils et de pousser un soupir d’agacement. Dire que les deux clans ne s’entendaient pas c’était minimiser les choses. Il s’agissait davantage d’une haine cordiale entre les Nymphéas et les Crysalid. Voilà qui était contrariant… Alexiel appartenait au clan rival et si jamais Kiridan apprenait que le jeune homme était venu en aide à leur clan, il risquait gros. Il resta silencieux pendant un moment. Il fallait se décider vite, la nuit n’allait pas tarder à tomber. Les lèvres de Léandre restèrent closes, son visage légèrement relevé, il scrutait le ciel à la recherche d’une solution pour ce dilemme, alors que le vent secouait leurs cheveux et leurs vêtements.

Le jeune homme prit une forte inspiration et baissa les yeux vers Alexiel. C’était évident qu’elle ne pourrait pas se débrouiller seule. La laisser serait l’équivalent de la jeter dans la gueule d’un judgment affamé. Alors, Léandre posa sa main libre sur l’épaule de la fillette pour lui annoncer d’une voix grave :

-N’aie pas peur. Je vais t’aider. Je vais te ramener chez toi.

C’était la seule solution. Il ne préférait renier son clan en partie plutôt que de perdre son intégrité. Le choix n’était pas facile et il fallait l’assumer. Il l’assumerait. Il ne pouvait pas laisser un être humain si faible dans une telle détresse. Au mieux, il pouvait prétendre qu’il ignorait qu’Alexiel faisait partie des Crysalid. Léandre regarda Alexiel mais il ne put forcer un sourire pour la rassurer. Le temps pressait. Ils devaient se mettre en route dès maintenant pour atteindre le centre d’Orbis, là où se trouvait le QG des Crysalid. Il observa la jeune fille, encore tremblante et mal assurée.

-Tu peux marcher ? s’enquit-il.

Ils avaient une longue marche devant eux et il espérait sincèrement qu’elle ne lui claquerait pas entre les doigts.

Le silence pesait si lourd dans le ciel, la nuit approchait rapidement et Alexiel angoissait de plus en plus vite, au fur et à mesure que Léandre faisait durer ce lourd silence. Ce manque d'action fit perdre la tête à notre ange. Le doute n'était plus permis: Alexiel avait gaffé. Mais sur quoi ? Cet homme... Le blondinet ne le connaissait pas, il n'osait surtout pas le questionner. Complètement soumis à cette aura transcendante, il se contentait de fuir son regard, mais quand sa main se posa fermement sur son épaule gracile, l'ange hoqueta de surprise et releva la tête vers son interlocuteur, curieux.

- N’aie pas peur. Je vais t’aider. Je vais te ramener chez toi.

C'était trop beau pour être vrai. Alexiel écarquilla les yeux, étonné de cette confidence. Mais pourquoi se prenait-il la tête à vouloir l'aider ? Il était seul, désœuvré, et lui armé, confiant, et lui au moins savait retrouver son chemin. D'ailleurs, Alexiel se demandait toujours où il était. Pourquoi ne pas découvrir l'endroit plus intensément avec l'inconnu ? Les Judgments étaient plus menaçants la nuit, autant ne pas prendre de risques. Alexiel pouvait être bête parfois...

Malgré son corps frêle tremblant, l'inconnu faisait de son mieux pour mettre dans de meilleures conditions Alexiel. Mais ce dernier était facilement perturbable, et se retrouver perdu, en plein milieu de l'acropole, sous le soleil disparaissant progressivement, et en compagnie d'un homme qui apparemment ne lui voulait pas de mal en vue du fusil posé à terre, pourquoi stresser autant ? Notre ange, encore trop handicapé pour ce monde, sentait que ses jambes allaient le dérober d'une minute à l'autre.

- Tu peux marcher ?, demanda le brun à l'amnésique.

Ce dernier serra son poing contre sa poitrine, mordillant sa lèvre par la même occasion. Il savait que s'il faisait un seul pas, son corps basculerait en avant. Son corps n'était pas du tout habitué aux longues marches périlleuses, et cette escapade occasionnelle l'avait totalement déréglé. De ce fait, Alexiel ne s'imaginait pas faire le retour seul. Mais afin d'échapper à cette éventualité, l'ange voulut montrer à cet homme qu'il savait se débrouiller, alors il fit un pas, puis deux, jusqu'à le rejoindre en tanguant fortement. Une fois suffisamment près de lui, il se sentit chuter, alors il se dépêcha de s'agripper à sa manche, poussant un gémissement de douleur. Ses jambes le faisaient atrocement souffrir, au point qu'il les voyait trembler violemment pour le faire tomber à genoux devant l'homme. Son incapacité à se débrouiller seul le fit baisser la tête. Il avait honte, tellement honte.

- P-Pardon..., murmura-t-il en reniflant.

Les larmes lui remontaient aux yeux bêtement. Il était totalement inutile, un vrai boulet accroché à la cheville de l'inconnu. Il était encore temps pour lui d'ailleurs de refuser et de l'abandonner à son triste sort. Mais comment parvenir à surmonter ses faiblesses ? Le mieux serait qu'Alexiel retourne au QG le lendemain. Trouver un abri, récupérer ses forces la nuit, et repartir pour la matinée, seul. Au moins, l'inconnu n'aurait pas à l'accompagner, et donc il serait libre de faire tout ce qu'il voulait...

- Je ne peux pas... Maintenant... Trop loin... Je suis fatigué... Je veux un oreiller..., écorchait-il faiblement.

Alexiel s'abandonna à la faiblesse. Depuis toujours, ou du moins depuis qu'il avait perdu la mémoire, il trouvait son existence totalement futile. Pour lui, il n'était qu'un poids à porter, que ce soit pour Luciia, Edward ou même cet homme qu'il avait rencontré par hasard. Mais peut-être qu'il allait faire partie intégrante de sa vie... Ca, Alexiel ne l'espérait guère, malgré qu'il le trouve admirable, généreux, doux... Il reconnaissait un peu Edward dans cette personnalité qu'il n'avait pas encore cernée. Mais avec le temps, notre ange trouverait peut-être les réponses à ses questions... Me sont-ils indispensables ? Suis-je utile ? Pour l'heure, la survie était plus importante que le mélodrame.

Le jeune homme observa la jeune blondinette faire quelques pas sur ses jambes chétives avant de manquer de s’écrouler dans ses bras. Léandre l’aida à tenir debout. La tâche n’allait pas être facile. A ce moment plus que tout à l’heure il lui sembla être en face d’un oisillon tombé du nuit, incapable de s’envoler et de se débrouiller seul. Ses jambes tremblaient et il lui semblait qu’elle pleurait.

-P-Pardon..., s’excusa-t-elle.

Il n’avait aucun mal à s’imaginer dans quel état elle devait être. Désorientée, désespérée, faible, perdue au milieu des loups…Ce n’était pas étonnant qu’elle ait ravivé le complexe de « la demoiselle en détresse » chez le jeune homme. Sans son aide, elle n’avait aucune chance. Malheureusement les mots manquaient au jeune homme pour pouvoir la rassurer et sécher ses grosses larmes qui coulaient sur ses joues. En désespoir de cause, il posa sa main sur le sommet de sa tête en esquissant un faible sourire.

-C’est pas grave…
-Je ne peux pas... Maintenant... Trop loin... Je suis fatigué... Je veux un oreiller...

Ca en revanche, ça allait être un peu plus compliqué. Léandre ne pouvait en aucun cas l’amener au QG des Nymphéas, sachant qu’elle appartenait aux Crysalid, c’était purement et simplement impossible. Les lèvres du ténébreux se serrèrent alors qu’il réfléchissait à une solution. La nuit tombait déjà, les nuances de bleu s’emparaient du ciel alors que le soleil disparaissait au loin. Les traits de Léandre se durcirent, dévoilant une résolution nouvelle. Il allait la ramener chez elle, saine et sauve, coûte que coûte. Il l’abandonna un instant, ramassa son fusil et le posa sur son épaule. La nuit, les judgments étaient beaucoup plus dangereux, raison de plus pour ne pas l’abandonner à son triste sort quelque part. Léandre se retourna vers la fillette avec une lueur de détermination farouche dans ses yeux couleur d’or liquide.

-Je t’ai dit que je te ramènerai chez toi, je le ferai. Si tu ne peux pas marcher…Tu peux toujours monter sur mon dos !

Alexiel ne devais pas peser bien lourd et le jeune homme avait l’habitude de porter des kilos de viande morte jusqu’au QG. A moins qu’ils ne se fassent attaquer par un judgment, il ne s’agirait que d’une simple balade.

-Si tu restes ici, tu n’as aucune chance de t’en sortir, dit-il comme pour la convaincre. Et puis… peut-être que tu rencontreras un de tes amis en chemin ? En tout cas, on n’a pas de temps à perdre…qu’est ce que tu attends ?

Léandre s’abaissa un peu et fit signe à Alexiel de monter sur son dos. C’était la seule chose qu’il pouvait faire pour elle, même si l’idée en soit était un peu…grossière. Il fallait quand même piétiner un peu son orgueil pour servir de mule à un Crysalid. La seule chose qu’il espérait c’était de ne pas être de vu par l’un de son clan…

Alexiel avait rarement vu autant de détermination chez quelqu'un. Peut-être qu'il n'observait jamais assez les gens pour se rendre compte de cela. Lui-même n'était pas aussi déterminé, la preuve: il voulait abandonner cette idée de retour. Or, l'inconnu fit barrage à son envie soudaine, l'invitant même à prendre place sur son dos en guise d'aide. Le blondinet détourna les yeux. Il se sentait ridicule, d'autant plus que ses jambes lui hurlaient de ne plus marcher. Alors il dut se résoudre à accepter la proposition de l'homme. Lentement, il tendit ses bras vers ce dos. Doucement, ses doigts vinrent caresser sa musculature étonnante. Alexiel en fut éberlué. Il put conclure que cet homme s'entrainait beaucoup pour être aussi développé. Mais le silence perdurait encore. Alexiel se rapprocha de l'inconnu, puis il grimpa timidement sur son dos. Il avait peur d'être trop lourd pour lui, alors il s'empressa de dire:

- D-Désolé... Si je suis lourd... Je ne veux pas être un poids...

Suivi d'un murmure: Merci. Alexiel avait honte de se rabaisser ainsi. Comment être facilement influencé par un inconnu... Le blondinet n'avait que lui comme espoir afin de retourner au QG des Crysalids, alors il était mieux de ne pas laisser passer cette chance ! L'ange serra ses mains contre les épaules de l'homme. Des tonnes de questions assommèrent Alexiel d'un coup. Il devait en savoir plus sur cet inconnu. Il n'allait pas lui faire autant confiance sans avoir ne serait-ce qu'un soupçon d'informations. Alors que l'homme commençait à marcher, Alexiel approcha sa bouche de son oreille. Sa frêle voix s'exprima ainsi, dans la confession la plus absolue.

- Qui êtes-vous... pour avoir autant pitié de moi...? Vous auriez dû me laisser seul... Je ne mérite pas ça...

Et ses yeux se plissèrent, dans l'attente d'une réponse que, il espérait, ravirait sa soif de curiosité. La nuit les observait goulument, la lune apparaissait progressivement, les étoiles la rejoignant ensuite. Il faisait trop sombre maintenant pour qu'Alexiel ne distingue quelque chose, voire quelqu'un. Et il doutait qu'ils croiseraient quelqu'un qu'il connaissait. De toute façon, seuls Edward et Luciia s'inquiétaient pour lui. Les autres... Moins ils le voyaient, mieux ils se portaient ! C'était la vérité: qu'y avait-il de si intéressant d'engager la conversation avec un amnésique incapable de parler ou marcher longtemps ?

Finalement, elle accepta son aide sans rechigner. Léandre sentit ses mains hasarder autour de ses épaules et s’y établir. Un léger frisson lui parcourut le dos. Elle était si délicate, si faible…elle se reposait sur lui sans arrière-pensée, sans l’intention de manipuler. Ce genre de moment était si rare, un moment de subtilité, de sensibilité… Sans y prêter attention, un léger sourire réchauffa les traits de son visage, un sourire secret et doux.
Quand elle fut prête, il passa ses bras sous elle pour la soutenir et se redressa.

- D-Désolé... Si je suis lourd... Je ne veux pas être un poids...
- Pour être un poids, il va falloir manger beaucoup de viande et prendre quelques kilosrépondit-il d’un ton taquin.

Elle ne pesait pas plus lourd qu’un jeune enfant. Et puis…Léandre était habitué à porter les carcasses lourdes et inertes des animaux qu’il avait chassés. Au fil du temps, son corps déjà bien bâti s’était endurci à force de travail. Il devenait chaque jour un peu plus fort, à force de travail mais également grâce à l’entraînement qu’il suivait. Chez les Nymphéas, Léandre avait la possibilité de s’améliorer au combat, ce qui n’était pas négligeable vu les nombreuses difficultés auxquelles il devait faire face chaque jour. Il n’y avait pas de place pour les faibles dans ce monde… Peut-être pensait-il qu’en aidant Alexiel, il rétablirait un peu la balance entre les forts et les faibles ? Rien n’était moins sûr.
Le jeune homme se mit en route. Il connaissait suffisamment bien la région sud d’Orbis pour pouvoir emprunter des raccourcis. Il s’engagea donc dans un dédale de ruelles qu’il connaissait par cœur. Alors, il entendit la petite voix fluette d’Alexiel chuchoter, son souffle léger chatouillant son oreille.

- Qui êtes-vous... pour avoir autant pitié de moi...? Vous auriez dû me laisser seul... Je ne mérite pas ça...

Léandre resta silencieux un moment. Il voulait répondre qu’il n’était personne et qu’elle devrait arrêter de parler pour garder ses forces, mais en faisant cela, il éluderait la question. Un sentiment désagréable et amer s’empara de lui. Le ton taquin de toute à l’heure disparut pour laisser place à une voix grave et profonde. Il voulait dire un tas de choses, sur le fait de mériter quoique ce soit, sur la pitié et tout ce qui le dégoûtait à propos de cet endroit. Sur l’absurdité de la vie ici, sur la haine insensée, sur ce créateur cruel et barbare et sur l’odeur du sang qui semblait parfois lui coller à la peau… Cependant il continua de marcher et finit par répondre à sa question, les dents serrées.

- Qui je suis et qui tu es, que tu mérites mon aide ou pas, ça n’a pas d’importance. Ce qui est important, c’est que nous sommes des humains et que normalement, on doit se serrer les coudes de temps en temps. Faire preuve d’humanité pour ne pas devenir des bêtes.

Parfois Léandre était en colère contre le monde entier. Enfin le monde entier…C’était Orbis. Il haïssait le fait d’être aussi limité, le fait qu’on lui ait arraché les souvenirs de sa vie précédente pour le jeter ici, dans cette arène ou la frontière entre l’homme et la bête s’amincissait de jour en jour…et pourquoi ? Cette question restait sans réponse.
Le jeune homme continuait d’avancer, il n’avait pas d’autre choix. Une fois qu’il serait arrivé dans le centre de la ville, il espérait qu’Alexiel pourrait reconnaître l’endroit d’où il venait. Soudainement une question lui vint à l’esprit. Et si Alexiel avait subit de mauvais traitement là-bas ? Peut-être était-ce pour cela qu’elle s’était « échappée » et elle y retournait n’ayant pas d’autres endroit où aller.

-Dis moi Alexiel…Qu’est ce qu’il t’es arrivé ? Je veux dire à tes jambes et à ta façon de parler ?

Léandre prit un sentier qu'Alexiel ne se souvenait pas avoir emprunté. Ses yeux se promenaient sur les murs jonchés de verdure: mousse, plantes crochues, les bâtiments étaient bien dégradés, comme on pouvait s'y attendre des ruines d'Orbis. Et plus Léandre se rapprochait du centre, plus Alexiel ressentait un malaise. Sa tête tournait, ses oreilles sifflaient. Il eut du mal à entendre la réponse de l'homme. Il avait probablement zappé son prénom. Il se contenta de gémir légèrement comme signe d'approbation, ne souhaitant pas l'alarmer. L'ange fit de son mieux pour dissiper son mal-être, fermant les yeux pour ne plus regarder autour de lui. Sa curiosité se transformait en maladie. Son ventre criait famine, sans doute le blondinet avait faim. Marcher longtemps, se paumer, ça creusait l'estomac. Et toute l'argumentation en béton de Léandre partait en fumée dans les oreilles d'Alexiel. Ses sourcils se crispèrent. Son visage déformé par ce malaise le fit gémir à nouveau. Le brun marchait pourtant lentement.

- Dis-moi Alexiel… Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? Je veux dire à tes jambes et à ta façon de parler ?

L'ange se redressa, luttant puissamment contre sa nausée, puis il réfléchit longuement. Que s'était-il passé pour qu'il devienne complètement amnésique ? Edward lui avait raconté, il y a longtemps. Depuis, Alexiel semblait avoir une bonne partie de l'histoire. Alors, dans ce silence lourd, il entreprit de chercher ses souvenirs. C'était difficile pour lui de se rappeler d'aussi loin, mais il faisait un effort. Petit à petit, les morceaux du puzzle s'assemblèrent: Judgment, attaqué, traumatisme crânien, amnésie complète. Corps neuf, tel un nouveau né. Il n'y avait pas que les souvenirs qui s'étaient évaporés: sa capacité à parler, à marcher, ça aussi ça avait disparu dans la nature. Alexiel se souvint de son premier jour d'amnésie: Il ne comprenait pas pourquoi ses cordes vocales s'exprimaient. Et face à l'incompréhension totale de Luciia, son médecin, il pleurait. Découragé, écœuré, il avait fini par s'y faire. Et Luciia avait décidé de l'aider. Débuta alors une intense remise à niveau, pour en arriver à ce qu'était Alexiel: encore handicapé, il avait quand même réussi à se faire comprendre des autres.

- Edward m'a dit... que j'ai été frappé à la tête... par un Judgment... Il m'a sauvé et quand je suis réveillé... J'étais perdu... Sans rien en tête... Et je voulais parler... Mais ma langue ne voulait pas bouger... Ma glotte me faisait mal... Et puis je voulais marcher... Je suis tombé en avant quand je suis sorti du lit... J'ai saigné du nez... Le goût était métallisé, j'aimais bien, mais j'avais mal.

Alexiel se surprit à déballer tout ça sans même réfléchir. Il fit quand même une erreur grammaticale, preuve qu'il avait encore des efforts à fournir. Mais son erreur aggravait encore plus son cas. Cela le rendait de plus en plus innocent, idiot, pur...

Sa nausée le fit trembler soudain. Il n'était plus possible de le cacher à présent. Il voulait vomir ses tripes. La tête sur le côté, il inspira profondément, inhalant intensément chaque bouffée d'air. Et pendant que ses glandes salivaires s'excitaient, ses yeux firent un tour. Alexiel se propulsa violemment en arrière pour tomber sur les fesses au sol, se libérant ainsi de l'emprise de Léandre. Mais c'était bien volontaire. En effet: de suite après, l'ange cracha un filet de bile au sol, comme il n'avait rien dans le ventre. Ainsi, il permettait à Léandre de ne pas être sali. Le corps frêle du blondinet tremblait violemment. S'essuyant le coin de la bouche, Alexiel laissa perler deux larmes au sol. Il était malade. D'accord. Mais qu'avait-il ? Dès qu'il aura réussi à retourner au QG avec l'aide de Léandre, il se précipitera voir Luciia pour qu'elle l'examine. Car Alexiel avait la phobie de la maladie dans le plus large sens du terme. Alors il s'entêta de se répéter haut et fort qu'il allait bien, mais le mensonge était trop présent pour ça.

- Edward m'a dit... que j'ai été frappé à la tête... par un Judgment... Il m'a sauvé et quand je suis réveillé... J'étais perdu... Sans rien en tête... Et je voulais parler... Mais ma langue ne voulait pas bouger... Ma glotte me faisait mal... Et puis je voulais marcher... Je suis tombé en avant quand je suis sorti du lit... J'ai saigné du nez... Le goût était métallisé, j'aimais bien, mais j'avais mal.

Léandre restait silencieux et tendait l’oreille pour entendre la voix faible d’Alexiel. Donc cela s’était passé comme ça…Elle avait dû être attaquée par un judgment dès son arrivée. Un sourire ironique apparut sur ses lèvres fines. Un peu comme lui, sauf qu’apparemment la situation avait mal tourné pour la blondinette. C’était d’ailleurs relativement étonnant qu’elle soit encore capable de marcher et de parler après un traumatisme aussi violent. Ils devaient bien s’occuper d’elle chez les Crysalids…
Désormais ils n’étaient plus très loin du centre de la ville grâce aux raccourcis du jeune homme. Cependant, le centre-ville était assez vaste que pour s’y perdre, le jeune homme devrait compter sur l’aide d’Alexiel pour l’amener chez lui. Léandre était sur le point de lui annoncer la « bonne » nouvelle lorsqu’il sentit la fillette se détacher de son dos sous l’effet d’une force, de sa propre force.

-Alexiel !

Il se retourna aussitôt pour la retrouver allongée sur le sol, tremblante et malade. Pas bon, pas bon du tout, pensa Léandre. Il lui était impossible de savoir si c’était bénin ou grave. Et si jamais elle lui claquait entre les doigts ? Ah ça non ! Il devait la ramener au plus vite au QG des Crysalids, ou elle pourrait certainement recevoir les soins nécessaires. Le jeune homme s’abaissa au niveau de sa protégée avec un étrange ton d’inquiétude dans la voix.

- Ca va aller ?...Il va falloir qu’on aille plus vite je crois…On est presque arrivé au centre, il semblait murmurer ça pour lui-même. Tiens bon, ok ?

Sans rien lui demander, il pris la blondinette dans ses bras, la souleva et fit passer son poignet fin un blanc par-dessus sa tête. De cette façon, il pourrait aller plus vite, il n’y avait pas de temps à perdre. Hors de question qu’elle me claque dans les bras, pensa-t-il de nouveau. Si jamais cela devait arriver, il aurait vraiment d’énormes ennuis. Mais il préférait ne pas trop y penser et tout faire pour exclure totalement cette possibilité dans son esprit. Si jamais il imaginait tenir dans ses bras un corps inanimé et sans vie, il était foutu. De toute façon, le temps n’était pas à la réflexion mais à l’action. Léandre pris une grande inspiration, colla le corps frêle de la blondinette contre le sien pour éviter les secousses et se hâta sur ce qui devait être une avenue autrefois et qui menait tout droit au centre-ville, là où Alexiel trouverait son salut.

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